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L'Ero Gène
11 février 2007

Et Il, Bez, errent

Il y a quelques années de cela, lorsque j'habitais encore à Bordeaux, j'avais pris l'habitude lors de mes nuits d'insomnies de prendre ma voiture et de rouler pendant 2 ou 3 heures dans les grandes artères citadines. Je ne sais pas exactement ce que je cherchais ou ce que je pouvais bien attendre de ces virées, mais ma maraude nocturne croisait le chemin d'une faune particulière, celle que l'on retrouve dans toutes les grandes villes. Prostituées, tapineurs du dimanche, sorties de bars ou de boîtes enivrées, travelos sans classe, routiers timidement éclairés dans leurs minuscules cabines, ou encore ballets sauvages sur les parkings désertés à demi éclairés. J'avais tour un petit trajet comme cela, que j'aimais à parcourir et à observer du fond de mon siège de voiture.

Ce soir-là, ne trouvant pas une fois de plus le sommeil, je succombais à l'irrépressible envie d'aller rouler. J'entamais donc mon petit tour qui débutait inlassablement par la visite des quais de Paludate, là où on trouvait en ces soirs de week-ends les clubbeurs et autres adeptes de pubs bondés. A cette heure-ci, environ 1h30 ou 2hdu matin, la plupart des gens se trouvaient encore dans leurs délires festifs et les quais, bien que surchargés de véhicules entassés, ne débordaient pas d'agitation. 

Au premier feu rouge de ma ligne droite, je reconnus une jeune femme que je croisais régulièrement dans le cadre de mon travail de l'époque. Je ne faisais que la croiser sans jamais vraiment avoir l'occasion de lui parler ou de faire connaissance, elle et moi étant bien trop pris par nos activités du moment. Un regard ou deux peut-être avant de rentrer sur scène, un sourire timide dans une coulisse, quelques notes jouées pour l'aider elle et sa troupe à revoir une chorégraphie, trouver le bon placement, mais rien de plus. Je me souvenais juste de son prénom, étrange prénom… Bezerline.

« Hé, comment vas-tu ?!

-Et toi ? qu'est-ce que tu fais là ?

-Et bien écoute, on peut dire que je fais le Bordeaux by night… Je te ramène ?

-Oui avec plaisir "

Une fois montée, un silence s'installa durant quelque seconde.

" Le Bordeaux by night alors... ? … "

Sa réponse et le léger sourire complice qu'elle y rajouta me troubla.

Je continuais à rouler, comme si de rien n'était, et lorsque vînt le moment de la déposer au coin de sa rue, elle me demanda de continuer à rouler, et de lui faire partager mon petit périple.

Il régnait une ambiance bizarre dans la voiture. Nous n'avions échangé que très peu de mots, et malgré tout, il y avait comme une sorte d'amitié complice, tels deux gosses bravant l'interdit, partagés entre la crainte et le désir, l'innocence platonique et la lascivité malsaine.

Nous pouvions voir un peu plus loin, l'immense parking destiné à accueillir les routiers. Cet endroit regorgeait, aussitôt la nuit venue, d'une faune largement dominée par le troisième sexe, ou "voulant s'en rapprocher". Une petite voiture n'avait de cesse de passer devant les camions endormis, et il arrivait que quelques cabines encore allumées la fassent s'arrêter. Les vitres se baissaient, et les négociations se voulaient bien souvent relativement rapides. Une autre voiture faisait alors son apparition, et le ballet pouvait alors reprendre son cours.

Je m'engageais sur le parking. Cela nous faisait rire de voir ses travelos en goguette, parce qu'ils n'avaient rien de commun avec les transformistes que nous pouvions croiser Bezerline et moi dans nos activités artistiques. Ils étaient des caricatures, des clichés. Mini-jupes dévoilant des fessiers rebondis, une grosse ceinture en cuir marron digne des années disco, des collants noirs usés au point de révéler tout le cursus du personnage, des maquillages frustres et imprécis, au point de se demander si la dernière pipe ne venait pas tout juste d'être consommée.

Ce parking était plein de vie, et si quelques néophytes curieux n'avaient pas transgressé les codes en vigueur dans ce genre d'endroit, aucun profane n'aurait pu se douter de tant d'activité. Vous prendre des phares en plein dans les yeux n'a vraiment pas grand-chose d'agréable. Seules la pénombre et la discrétion sont de mise, et les quelques mots à demi-sussurés, langoureusement chuchotés, sont le signe d'un petit moment de plaisir.

Quelques kilomètres plus loin, au détour d'un bois comme il en existe tant aux alentours des boulevards périphériques, se présentait à nous le royaume des hommes qui aiment les hommes, dénichés tels des lapins en campagne au détour d'un virage de sous-bois. Les pantalons sur les chevilles, un homme à genoux en train de goûter avec délectation son semblable, un autre les mains dans les poches faisant semblant d'être là par hasard…

Il faut vraiment avoir pris le temps d'observer pour comprendre les codes utilisés, les postures qui vous en font savoir plus sur l'attente de la personne, les gestes qui trahissent la fébrilité de l'excitation, les regards qui vous transpercent et vous déshabillent si vous ralentissez à la hauteur d'une autre voiture. Il y a à la fois quelque chose d'effrayant et d'attirant.

"Il y a une voiture qui nous suit" me dit-elle calmement.

Bien entendu qu'elle nous suivait ! Non content de croiser des travelos et des gays, il y avait aussi un nombre incalculable d'hétéros et de couples libertins. Tous à la recherche du plaisir, tous en proie à leurs hormones surchauffées, baladés entre les différents points bien connus des habitués. Le Bordeaux libertin, le Bordeaux échangiste, le Bordeaux de la partouze et de la baise rapide.

Ce n'était plus une voiture mais peut-être dix qui nous avaient prit en chasse.

C'est comme tout. La loi de l'offre et de la demande. Le nombre de mecs seuls dans leurs bagnoles est incroyable. On y voit des jeunes, des trentenaires en costards, des retraités plus ou moins charmants. Les couples se font plus rare, et logiquement, dès qu'un mec et une nana sont dans le coin, cela se sait très rapidement. Il suffit que vous quittiez le parking pour voir 3 ou 4 voitures vous emboîter le pas. Et dans la nuit, les néons des phares sonnent comme un point de ralliement, comme l'assurance d'un bon coup, d'une proie potentielle, et aussitôt, d'autres phares viennent s'incruster dans vos rétroviseurs. Comme d'un commun accord avec ma "compagne" du moment, je prenais un malin plaisir, moi qui connaissais bien les petites routes et les petits chemins pour les avoir observés longuement, à les emprunter, à tourner, à ralentir, puis à repartir pour reprendre une voie plus importante. Les voitures suivaient toujours. Plus vous roulez, plus les gens pensent que vous les conduisez dans un endroit tranquille de votre choix. C'est à la fois jouissif et inhumain de les mener par le bout du nez, de jouer avec leurs libidos comme on retire un sucre de la truffe d'un chien affamé.

Retour au point de départ dans une sorte d'éclat de rire teinté d'envies.

Sa main se posa sur la mienne avec tendresse.

Une dernière petite maraude pour ce soir, avec quelques commentaires sur les personnages que nous croisons.

Les putes du boulevard, certaines très belles, d'autres telles des lucioles phosphorescentes trompeuses se révélant beaucoup moins attirantes, les " macs " relevant les compteurs et surveillant leurs " protégées ", les travlos arpentant les trottoirs, les gays regagnant hâtivement leurs voitures après s'être fait prendre avec bestialité ou à la chaîne, les couples en train de copuler inconfortablement dans les bagnoles, entourés de groupes de mecs en train de se branler les uns les autres sans aucune gêne, les loosers de la soirée, ceux-là même qui tournent en vain depuis 2 heures, se résignant à aller se vider avec les passifs du fond du parking.

Et ça baise…partout ça baise.

J'ai un truc brûlant au fond du ventre, le souvenir de la chaude douceur de sa main effleurant la mienne. Nos regards se croisent sur le chemin du retour, son visage éclairé par le défilement des lampadaires des quais.

" Merci pour cette fin de soirée étonnante. J'ai apprécié. Beaucoup ".

Elle me déposa un tendre et profond baiser humide dont je me souviens encore des années plus tard.

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Commentaires
M
J'ai apprécier de te lire jolie écriture <br /> bise Marilyn
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